Le Sénat supprime du PLFSS plusieurs articles à fort impact sur les professionnels de santé libéraux et ferme la porte aux partages de compétences

Dans un article publié le 07 novembre par le blog Quantum Santé, je vous proposais une synthèse des articles du PLFSS 2023 à fort impact sur les professionnels de santé libéraux, après son adoption sans vote par l’Assemblée Nationale. Mardi 15 novembre, le Sénat a adopté en première lecture le projet de loi après l’avoir largement modifié. Tour d’horizon des bonnes nouvelles et des moins bonnes !

En ce qui concerne les modifications pouvant être qualifiées de bonnes nouvelles, le tour d’horizon est vite fait, mais retenons la principale portant sur la suppression de l’article 44. Pour mémoire, cet article permettait aux CPAM, lorsque l’inobservation des règles de tarification est révélée par l’analyse d’un nombre limité de factures, de fixer forfaitairement le montant de la récupération d’indus, par extrapolation à tout ou partie de l’activité donnant lieu à prise en charge de l’assurance maladie.

Le Sénat a considéré que ce projet était inacceptable et semblait aller à l’encontre de plusieurs principes du droit. La disposition semble d’abord aller à l’encontre des droits de la défense. Cela revient à renverser la charge de la preuve en imposant aux professionnels d’apporter les preuves du respect des règles de facturation dossier par dossier sur l’ensemble de leur activité. De plus, la disposition semble encore aller à l’encontre du droit à l’erreur institué par la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance. Ces articles précisent que la preuve de la mauvaise foi appartient à l’administration.

Une autre bonne nouvelle concerne le secteur de la biologie médicale, actuellement impacté par un mouvement de grève pour protester contre l’Article 27 prévoyant des baisses de tarif des laboratoires de biologie médicale. Le Sénat a supprimé l’alinéa 14 de cet article et l'économie pérenne de 250 millions d'euros demandée aux biologistes médicaux soit par la voie d'un accord avec l'Assurance maladie signé avant le 1er février 2023, soit par diminution unilatérale de la cotation des actes de biologie hors liés à la Covid.

Enfin une nouvelle qui peut être qualifiée de bonne ou mauvaise en fonction de la profession exercée, médecins et auxiliaires médicaux ou pharmaciens. Il s’agit en fait de la suppression de l’alinéa 19 de l’Article 22 qui prévoyait pour les pharmaciens le remplacement de la notion de « bilans de médication » au profit du terme générique « d’accompagnement ». Le Sénat a considéré que les bilans de médication sont une mission spécifique attribuée aux pharmaciens d’officine afin de s’assurer de la bonne observance du traitement par le patient et éviter l’iatrogénie médicamenteuse. Ces interventions pharmaceutiques ne doivent pas être confondues avec des accompagnements qui se concentrent sur une pathologie spécifique du patient, du ressort d’autres professions.

Représentation syndicale et vie conventionnelle

Les Alinéas 7 à 9 de l’article 22 sont supprimés parce qu’ils tendaient à remettre en cause la légitimité des syndicats représentatifs. Le Sénat considère les dispositions supprimées comme un manque de reconnaissance par les autorités des syndicats représentatifs, de leur assise territoriale, de leurs effectifs d’adhérents, de leur indépendance et, pour les professions concernées, de leur audience aux élections URPS. La volonté affichée du gouvernement de « faciliter le bon déroulement des prochaines négociations » constitue en réalité un contournement des syndicats, alors même que ces derniers représentent l’ensemble des professionnels de santé libéraux, quelles que soient leur forme d’exercice (MSP, ESP, CPTS, coordination souple). Il est essentiel que les syndicats professionnels représentatifs demeurent des interlocuteurs incontournables lors des diverses négociations, et également dans le cadre d’une concertation départementale.

Par ailleurs, on perçoit de la part du Sénat une volonté de renforcer la portée de l’article 22 qui prévoyait la suppression des stabilisateurs économiques qui repoussant de six mois l’entrée en vigueur de certaines mesures conventionnelles issues des négociations avec les organisations représentatives des médecins conclues en 2023.

Deux amendements majeurs ont en effet été apportés à cet article, traduisant la prise en compte par la chambre haute du rapport de la Cour des comptes sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale 2022 :

  • Comme le constatait la Cour des comptes dans son RALFSS 2022, les conséquences des conventions médicales sont insuffisamment évaluées et suivies et ne sont pas constatées en temps utile par le Parlement. L’amendement adopté vise ainsi à remplacer, dans le Code de la sécurité sociale, le délai nécessaire de six mois avant l'entrée en vigueur d'une mesure conventionnelle dépensière, par une condition renvoyant à l'adoption d'un projet de loi de financement tenant compte des conséquences des mesures négociées par les partenaires conventionnels sur la trajectoire des dépenses d'assurance maladie.
  • La Cour des comptes relevait aussi que le coût financier d'une convention ne figurait pas parmi les motifs pouvant justifier une opposition des ministres. Pourtant, les conventions professionnelles constituent un élément important des dépenses de soins de ville. Un autre amendement apporté vise à permettre aux ministres chargés de la sécurité sociale et de la santé de s'opposer à l'entrée en vigueur d'une convention dont les conséquences financières remettraient en cause de manière substantielle la trajectoire des dépenses d'assurance maladie votée par le Parlement.

Suppression de l’accès direct aux IPA et de la participation des auxiliaires médicaux à la permanence des soins

En regard du texte qui sort du Sénat, il semblerait que le fil conducteur des différents amendements de suppression soit d’exclure du PLFSS tout article portant sur le contour des métiers.

En effet, seul sont conservés :

  • L’Article 20 qui crée une nouvelle compétence de prescription vaccinale pour infirmiers (et les pharmaciens) tout en élargissant la liste des vaccins que ces derniers sont autorisés à administrer, ainsi que le champ de compétence vaccinale des sages-femmes. Il est cependant complété par un paragraphe précisant qu’il ne s’applique pas aux vaccinations des personnes mineures de moins de seize ans.
  • L’Article 22 bis autorisant la certification des décès par les infirmiers libéraux à titre expérimental dans six régions, dont les tarifs forfaitaires, fixés par le ministère de la santé, seront pris en charge par le fonds d'intervention régional.
    Un amendement du Sénat prévoit que le décret fixant les modalités de l'expérimentation sera pris après avis de la Haute Autorité de santé, de l'ordre des médecins et de l'ordre des infirmiers. 

Par contre font l’objet d’une suppression pure et simple :

  • L’article 24 ter, qui prévoyait d'expérimenter un accès direct aux infirmiers en pratique avancée (IPA). L'accès direct aux IPA constitue selon le Sénat une mesure structurante, qui ne serait pas sans effet sur le rôle de pivot aujourd'hui reconnu au médecin traitant et, plus largement, sur l'organisation du parcours de soins. Si l'accès aux soins constitue un enjeu important, il est important de veiller à ce que la répartition des compétences entre professionnels garantisse également la qualité des soins sur l'ensemble du territoire.
    Cette question mérite d'être étudiée de manière transversale à l'occasion d'une loi relative à l'organisation du système de soins. Un article additionnel au PLFSS, sans concertation préalable, n'est pas un véhicule approprié.
    En suivant le raisonnement du Sénat et en faisant preuve d’optimisme on pourrait en déduire que le projet pourrait être déporté sur la proposition de loi N°362 de Stéphanie Rist, portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé.
  • L’article 24 bis qui étendait aux chirurgiens-dentistes, aux sages-femmes et aux infirmiers la permanence des soins ambulatoires (PDSA). En l'occurrence, cela concernait directement les infirmiers, qui pouvaient évaluer en premier lieu le patient et la nécessité d'intervention d'une structure mobile d'urgence et de réanimation.
    Selon le Sénat, si l'idée est intéressante et si l'interprofessionnalité doit être encouragée, un article additionnel au PLFSS ne constitue pas le moyen approprié de délibérer d'une mesure aussi structurante. De plus, les modalités de mise en œuvre du dispositif demeuraient, aux yeux des sénateurs, largement inconnues à ce stade : les autres professions de santé auraient-elles vocation à se substituer aux médecins de garde ? À l’inverse, si l'idée est de demander à plusieurs professionnels d'assurer simultanément une permanence : quels sont les besoins réels et justifient-ils une telle présence ? Comment s'assure-t-on de la bonne coordination de ces professionnels et de la qualité des soins ?
    En toute hypothèse, selon la chambre haute, une telle mesure doit faire l'objet d'une concertation en amont : les ordres et organisations représentatives devraient être consultés.

Le 17 novembre à 9 heures 30, la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale examinera, en nouvelle lecture, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.Pour rappel, le Sénat a adopté, en première lecture le PLFSS pour 2023, par 193 voix pour et 102 contre, le mardi 15 novembre 2022 après l’avoir largement modifié. Le jour même, la commission mixte paritaire, chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion s’est réunie, sans parvenir à un accord. Le blog Quantum Santé vous donne donc rendez-vous pour un prochain épisode !

Rédigé par Philippe Tisserand
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