Le Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) est un texte présenté chaque année par le Gouvernement devant le Parlement pour anticiper et organiser les dépenses de sécurité sociale et de santé pour l’année à venir. Après un examen chaotique du PLFSS 2023 en première lecture par l'Assemblée nationale, quelles sont les mesures à retenir qui vont impacter la médecine de ville ?

Cette loi permet au parlement de prévoir les recettes et les dépenses dans l’objectif de ramener les comptes sociaux à l’équilibre, les montants concernés sont colossaux puisqu’ils sont supérieurs au budget de l'État. L'objectif national des dépenses de santé augmentera de 3,7 %, si l'on exclut les dépenses exceptionnelles liées à la crise sanitaire.

L'analyse des sous-objectifs fait apparaître une croissance de 4,1 % de l’enveloppe de l’hôpital (soit 4 milliards d'euros), les soins de ville affichent une moindre progression (+ 2,9 %, soit 2,9 milliards d'euros supplémentaires). Le gouvernement précise que cette enveloppe permettra de financer la montée en charge des conventions des infirmiers libéraux ainsi que des pharmaciens, la poursuite des engagements tarifaires de l’avenant 9 de la convention médicale, mais aussi de financer les prochaines conventions des médecins et des kinés.

Pour 2023, les objectifs de ce texte étaient déclinés en cinq axes : renforcer le virage préventif, améliorer l’accès à la santé, mieux financer les modes d’accueil du jeune enfant, construire la société du bien vieillir chez soi et lutter contre la fraude sociale.

Adoption du texte sans vote à l’Assemblée Nationale, une première pour un PLFSS

Jeudi 20 octobre, confrontée à des débats houleux et en l’absence de majorité absolue, la première ministre engageait, devant les députés, la responsabilité du gouvernement sur la partie 3 (recettes) du PLFSS, dégainant la procédure prévue par l’article 49 alinéa 3 de la Constitution qui permet l’adoption du texte sans vote, sauf motion de censure.

À cette occasion, la Première ministre précisait que la partie du texte adopté selon cette procédure intégrait un certain nombre d’amendements ayant reçu un avis favorable en commission.

Avec le rejet de la motion de censure formée par la NUPES, le volet « recettes », correspondant aux trois premières parties du projet de loi était définitivement adopté. La motion ayant recueilli 150 voix, loin des 289 nécessaires. Les députés allaient pouvoir reprendre mardi 1er novembre l'examen de la partie dépenses de ce PLFSS 2023.

Le 26 octobre à 23 h 30, ultime rebondissement, Élisabeth Borne engageait une seconde fois la responsabilité de son gouvernement via l'article 49.3 sur le projet de PLFSS 2023, cette fois sur l'ensemble du texte.

Le 31 octobre, l'adoption en première lecture à l'Assemblée nationale du PLFSS s'est effectuée sans vote. Les motions de censure déposées par LFI et par le RN contre la deuxième utilisation du 49.3 ont toutes les deux été rejetées. Celle du RN n'a récolté que 90 voix. Celle de LFI a pour sa part obtenu 218 voix, soit 21 de moins que la semaine précédente sur la motion déposée après le 49.3 sur le projet de loi de finances.

Le texte enrichi d’une centaine d’amendements, dont une vingtaine provenant des oppositions, sera examiné en séance publique au Sénat à compter du 7 novembre.

Les articles à fort impact sur les professionnels de santé libéraux

Article 20 - créé une nouvelle compétence de prescription vaccinale pour infirmiers, et les pharmaciens, tout en élargissant la liste des vaccins que ces derniers sont autorisés à administrer. Il élargit aussi le champ de compétence vaccinale des sages-femmes qui ne sera plus limité aux femmes, aux enfants et à l’entourage des femmes enceintes.

Il prévoit aussi l’élargissement des compétences vaccinales aux étudiants en troisième cycle des études de médecine ou de pharmacie. Cette vaccination se fera toujours sous la supervision d'un maître de stage.

Article 22 - Suppression des stabilisateurs économiques qui repoussaient de six mois l’entrée en vigueur de certaines mesures conventionnelles issues des négociations avec les organisations représentatives des médecins conclues en 2023. Il s'agit de celles relatives au recrutement de personnels salariés ayant vocation à assister les médecins dans leur pratique quotidienne, à la participation à la régulation des soins non programmés, à l’installation et à l’exercice en zones à faible densité médicale.

Par ailleurs, un autre amendement crée un statut d’observateur pour les représentants des maisons de santé dans les négociations conventionnelles afin de laisser le temps nécessaire à une enquête permettant l’identification des organisations représentatives.

Article 22 bis - Certification des décès par les infirmiers libéraux à titre expérimental dans six régions, les frais relatifs à l'examen nécessaire à l'établissement du certificat de décès, réalisé au domicile du patient, seront pris en charge par le fonds d'intervention régional.

Article 23 - Ajout d'une quatrième année de médecine générale. Un amendement prévoit que la dernière année du DES pour cette spécialité est effectuée en stage, sous un régime d’autonomie supervisée par un praticien situé dans le bassin de vie, 2/8 dans des lieux agréés en pratique ambulatoire et en priorité dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou des difficultés dans l'accès aux soins.

Article 24 - Aides à l'installation des médecins et création d’un guichet unique à l’échelon départemental. Il aura pour mission d’accueillir les médecins nouvellement installés et permettra une meilleure coordination de l’action des différents partenaires (collectivités territoriales, ARS, représentants des professionnels de santé, organismes de sécurité sociale) et de faciliter les formalités administratives pour les médecins.

Article 24 bis - Participation à la permanence des soins. Le texte introduit la notion d’une responsabilité collective de participation à la permanence des soins, tant en établissement de santé qu’en ville. L’objectif est de garantir un accès aux soins non programmés pendant les horaires de fermeture des services hospitaliers et des cabinets médicaux en répartissant cet effort entre toutes les structures et tous les médecins d’un territoire. Elle est assortie de contrôles et de réquisitions en cas de défaut de fonctionnement.

Par ailleurs, cet amendement permet d’élargir à de nouveaux professionnels la permanence des soins ambulatoires : chirurgiens-dentistes, sages-femmes et infirmiers diplômés d’Etat. En l'occurrence, cela concernerait directement les infirmiers, qui pourront évaluer en premier lieu le patient et la nécessité d'intervention d'une structure mobile d'urgence et de réanimation. De même, les sages-femmes auront la possibilité de venir en aide à une femme enceinte nécessitant une prise en charge en soin non programmé.

Article 24 ter - L’accès direct aux Infirmiers en Pratique Avancée (IPA) en structures d’exercice coordonnées sera expérimenté sur trois ans dans plusieurs territoires qui seront déterminés par voie réglementaire. Un décret devra préciser, après avis de la Haute Autorité de santé, les modalités de cette expérimentation.

Article 24 quater - Consultations en zones désertifiées À titre expérimental, pour une durée de trois ans, l’État peut autoriser les conseils de l’ordre des médecins territorialement compétents à organiser obligatoirement des consultations de médecins généralistes ou spécialistes dans les zones où l'on en manque. Il sera versé à ces médecins, en complément de la rémunération à l’activité, un forfait financé par le FIR pour couvrir les frais associés aux sujétions liées à ces consultations. Les modalités de cette expérimentation seront précisées par voie réglementaire.

Article 27 - prévoit des baisses de tarif des laboratoires de biologie médicale de 250 millions d’euros par an jusqu’en 2026, soit 10 % des remboursements.

Article 31 bis - La substitution de certains dispositifs médicaux par les pharmaciens est en passe d'être pérennisée selon un amendement du groupe Renaissance.

Article 42 - Déconventionnement d'urgence de professionnels de santé. Un amendement gouvernemental renforce le dispositif de l’article 42 qui étend la possibilité d'un déconventionnement d’urgence à certaines professions (pharmaciens d’officine, fournisseurs de produits et prestations remboursables, transporteurs sanitaires). Il est proposé par exemple de rendre également applicable à ces derniers le mécanisme qui permet de déconventionner automatiquement un professionnel qui serait sanctionné ou condamné pour fraude deux fois en cinq ans.

Article 44 - l’assurance maladie ne peut aujourd’hui réclamer que la part du préjudice subi en cas d’erreur de facturation ou de fraude qui correspond exactement aux factures contrôlées. Cet article permettra aux CPAM, lorsque l’inobservation des règles de tarification est révélée par l’analyse d’un nombre limité de factures, de fixer forfaitairement le montant de la récupération d’indus, par extrapolation à tout ou partie de l’activité donnant lieu à prise en charge de l’assurance maladie.

Après l’agitation politique engendrée par le recours au 49.3 et l’adoption sans vote par l’assemblée nationale de ce PLFSS, ce sont maintenant les menaces de grève qui se profilent dans le secteur de la santé. Alors qu’un appel à la grève a été lancé lundi dernier par les professionnels des urgences pédiatriques, les biologistes avertissent qu’ils pourraient eux aussi suspendre leurs activités.

Les biologistes ne sont pas les seuls à protester contre ce projet de loi. Les médecins généralistes se réunissaient ce vendredi 4 novembre pour déterminer les modes d’action de leur mobilisation, à l’appel du syndicat MG France, pour dénoncer entre autres mesures « l’accès direct des patients aux orthoptistes, aux orthophonistes, aux masseurs-kinésithérapeutes et aux infirmiers en pratique avancée ».

Rédigé par Philippe Tisserand
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