Jeudi 6 avril 2023, après plusieurs heures de discussion, c’est par la voie d’un compromis que Députés et Sénateurs sont parvenus à un accord sur la proposition de loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé.

Rappelons que cette proposition, qui préconisait de permettre aux patients de consulter un infirmier en pratique avancée (IPA), un orthophoniste ou un kinésithérapeute sans passer par un médecin et qui ouvrait, dans sa rédaction initiale, le droit à la primo-prescription aux IPA a été très critiquée par l’ensemble des syndicats de médecins libéraux. L’ordre des médecins et les syndicats y voyaient une atteinte grave aux prérogatives du médecin traitant et une potentielle perte de chance pour les patients.

La proposition de loi fut ensuite adoptée par l’Assemblée Nationale le 19 janvier puis par le Sénat le 14 février, mais en des termes bien différents. En effet, pour tenter d’apaiser la colère des médecins, les sénateurs ont fait évoluer le texte dans une version édulcorée, en limitant l’accès direct aux seuls paramédicaux exerçant dans une maison de santé pluridisciplinaire, un centre de santé ou une équipe de soins primaires sous l’autorité d’un médecin.

Le texte adopté par l’Assemblée Nationale permettait lui un accès direct aux auxiliaires médicaux concernés au sein des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), mais les sénateurs avaient jugé ce cadre bien trop large, relayant ainsi les craintes de l’Ordre et des syndicats de médecins libéraux.

Au final, dans le compromis trouvé par la Commission Mixte Paritaire (CMP) pour parvenir à un accord, les députés ont tout juste obtenu que l’accès direct en CPTS soit expérimenté dans six départements. Au terme des débats, c’est une loi Rist bien moins ambitieuse qu’au départ qui a finalement été adoptée sous l’impulsion du Sénat.

Un texte de compromis qui exacerbe toutes les tensions

« Cet accord est bien loin de nos revendications et a réduit l’accès direct en libéral en excluant les CPTS du dispositif. Nous regrettons le manque d’ambition des parlementaires, alors que le projet initial répondait à ce que nous demandions », pointe le Syndicat National des Masseurs Kinésithérapeutes Rééducateurs dans un communiqué publié le 06 avril.

La Fédération nationale des orthophonistes (FNO) dans un communiqué du 04 avril, invitait quant à elle les parlementaires « à faire preuve du courage politique nécessaire pour fluidifier l’accès aux soins dans le cadre de la PPL Rist, en ouvrant l’accès direct aux orthophonistes. ». La FNO qui appelait les parlementaires à ouvrir l’accès direct aux orthophonistes, pleinement et dans toutes les formes de coordination, considère aujourd’hui que les dispositions de l’accord contrariant l’accès direct aux orthophonistes dans le cadre des CPTS « laisse peser sur les acteurs locaux une responsabilité qui devrait (…) incomber au législateur ».

L’Ordre national des infirmiers (ONI) dans un communiqué virulent exprime son incompréhension devant l’issue de la CMP et dénonce l’incohérence du choix de ne pas retenir les CPTS dans la loi : « le choix fait de ne pas réintégrer dans la loi les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé, qui sont précisément les structures qui permettraient de faire vivre l’exercice coordonné des professionnels au service des patients, est à la fois incohérent et incompréhensible ». Patrick Chamboredon, président de l’ONI ajoute « qu’à trop vouloir protéger les intérêts corporatistes d’un autre temps, on instaure de facto une prise en charge à deux vitesses et on crée des territoires oubliés de la République en matière d’accès aux soins ».

Coté organisations syndicales interprofessionnelles, la vie ne semble pas non plus être un long fleuve tranquille. En effet, les débats relatifs à la loi Rist ont eu pour effet collatéral de faire voler en éclats la belle unité affichée par les Libéraux de Santé (LDS), lors de leur création en septembre 20021, pour « réaffirmer les positions volontaristes d’organisations syndicales représentatives qui pèsent et partagent la même vision de la défense de l’exercice libéral. »

C’est ainsi que le 30 mars dernier, le Syndicat des Médecins Libéraux (SML), décidait de quitter l’intersyndicale Les Libéraux de Santé, ne se reconnaissant plus dans « les prises de positions contre-productives et dogmatiques pour l’avenir du système de santé français, défendues par les syndicats membres de cette organisation ». Le SML a défendu à de multiples reprises auprès des institutions et dans les médias, sa vision assumée d’une médecine libérale dont le pilotage et la coordination ne peut se faire que par le médecin, précisant au passage que « La loi Rist a cassé l'équilibre d'exercice des différentes professions en tentant d'instaurer une médecine à deux vitesses où les patients ne bénéficiaient plus de l'expertise du médecin ». Selon le syndicat de médecins « les CPTS doivent rester de construction médicale, et la meilleure garantie de leur efficacité serait de promouvoir leur direction par des médecins libéraux ».

La culture du compromis n’est pas la chose la mieux partagée en France, regrette Christian THUDEROZ, sociologue, codirecteur de la revue Négociations. Dans son "Petit traité du compromis" publié aux Presse universitaires de France, il s’intéresse au résultat des processus de négociations qui débouchent sur un compromis. Selon l’auteur « Loin de déboucher sur une cote mal taillée, le compromis permet de trouver des solutions créatives qui produisent un résultat satisfaisant pour chacune des parties ». Espérons que l’accord, qualifié par le Sénat « d’équilibré », auquel est parvenu la CMP sur la proposition de loi Rist, soit de nature à répondre à l’urgence de la situation.

Rédigé par Philippe TISSERAND
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