La création d’un nouveau statut plus protecteur pour les entrepreneurs individuels constitue la mesure majeure de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante qui entrera en vigueur au 15 mai prochain. Tous les exploitants individuels vont bénéficier de la séparation de leur patrimoine professionnel et personnel. Quelles conséquences pour les professions libérales de santé ? Quels sont les professionnels concernés ? Explications :

Professionnel de santé libéral, vous pouvez choisir d’exercer sous différents statuts : entrepreneur individuel, auto-entrepreneur, ou société. Le choix d’exercer votre activité libérale en entreprise individuelle a des implications fiscales et sociales. En effet, jusqu’à l’entrée en vigueur de cette évolution législative, il n’y avait pas de distinction entre votre patrimoine professionnel et votre patrimoine privé qui se confondent. Dès lors, vous étiez responsable des dettes de votre activité professionnelle sur vos biens professionnels et privés.

 

Professions libérales : une définition qui s’est faite attendre 

Les professions libérales trouvent leur définition dans la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives :

« Les professions libérales groupent les personnes exerçant à titre habituel, de manière indépendante et sous leur responsabilité, une activité de nature généralement civile ayant pour objet d'assurer, dans l'intérêt du client ou du public, des prestations principalement intellectuelles, techniques ou de soins mises en œuvre au moyen de qualifications professionnelles appropriées et dans le respect de principes éthiques ou d'une déontologie professionnelle, sans préjudice des dispositions législatives applicables aux autres formes de travail indépendant. ».

Il n’existe pas de liste officielle des professions libérales, catégorie qui est généralement définie en creux par le fait que ses professions ne relèvent ni de l’artisanat, ni du commerce, ni de l’industrie.

En France, comme dans les autres pays de l’Union européenne, l'exercice de certaines professions nécessite l’obtention d’un titre professionnel, d’une qualification professionnelle voire d’une autorisation préalable, sanctionnant un certain niveau de formation ou d’expérience. Ces professions sont dites réglementées, c’est le cas notamment des professions de santé. On trouve leur définition à l’article 3 de la directive 2005/36/CE relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles.

 

Un statut unique pour les entrepreneurs individuels

Vous exercez une profession libérale de santé à titre individuel, votre activité relève de la définition donnée par la loi de l’entrepreneur individuel « personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes. »

Vous êtes donc concerné par ce nouveau statut de l’entrepreneur individuel qui s’applique notamment aux commerçants immatriculés au RCS, aux artisans immatriculés au répertoire des métiers, mais également aux professionnels libéraux immatriculés à l’URSSAF.

Le statut unique pour les entrepreneurs individuels crée par la loi du 14 février 2022 est plus protecteur de votre patrimoine personnel. Ce nouveau statut consiste notamment à rendre le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel insaisissable par ses créanciers professionnels.

La loi généralise ainsi à tous les exploitants, le principal avantage de l’EIRL (entreprise individuelle à responsabilité limitée), il n’est d’ailleurs plus possible d’opter pour ce statut depuis le 16 février 2022, ses principaux avantages étant cependant repris dans le nouveau statut.

À noter que ce nouveau régime de l’entreprise individuelle s’appliquera à toutes les créations d’entreprises individuelles trois mois après la promulgation de la loi publiée au JORF le 15 février. Pour les entreprises individuelles déjà créées avant la réforme, la dissociation des patrimoines ne s’appliquera qu’aux nouvelles créances.

 

Certaines dispositions de la loi en attente de décrets d’application

Si le nouveau statut distingue patrimoine professionnel et patrimoine personnel, la loi ne donne pas en revanche une liste précise des « éléments nécessaires à l’activité professionnelle » qui constituent le patrimoine professionnel (biens, droits, obligations et sûretés dont le professionnel est titulaire et qui sont utiles à son activité). Pour entrer en vigueur, le texte doit être complété par un décret en Conseil d’État.

Dès lors que les éléments du patrimoine professionnel seront définis par décret, les éléments du patrimoine de l'entrepreneur individuel non compris dans votre patrimoine professionnel constitueront votre patrimoine personnel.

À retenir le fait que la séparation des patrimoines s’effectuera automatiquement, sans que vous ayez à effectuer de démarches administratives. Vous ne serez pas non plus tenu d’en informer vos créanciers.

 

Quelques exceptions à cette séparation patrimoine professionnel/patrimoine personnel

La loi prévoit des exceptions à cette séparation des patrimoines dans certaines situations. Sans entrer dans l’exhaustivité de ces précisions, retenons cependant la possibilité de renoncer au bénéfice de la séparation du patrimoine en faveur d’un créancier professionnel. Cette possibilité vise notamment à faciliter l’obtention de crédit bancaire.

Une autre exception dans le cas de manœuvres frauduleuses ou d'inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales et sociales par l’entrepreneur individuel : l'administration fiscale et les organismes de sécurité sociale exerceront un droit de gage portant sur l'ensemble de ses patrimoines professionnel et personnel. 

À retenir également que le recouvrement de l'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux ainsi que de la taxe foncière afférente aux biens immeubles utiles à l'activité professionnelle dont est redevable la personne physique exerçant une activité professionnelle en tant qu'entrepreneur individuel ou son foyer fiscal peut être recherché sur l'ensemble des patrimoines professionnel et personnel. 

Enfin, dans le cas de cessation de toute activité professionnelle indépendante, le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel sont réunis et ne sont donc plus séparés. Il en est de même en cas de décès de l'entrepreneur individuel.

 

Transmission du patrimoine professionnel

La loi du 14 février 2022 permettra à l’entrepreneur individuel de donner, vendre ou apporter à une société l’intégralité de son patrimoine professionnel. L’objectif de la mesure est notamment de « créer un continuum permettant d’assurer la fluidité du passage d’une activité amorcée en entreprise individuelle vers l’exploitation en société pour en poursuivre le développement et la croissance ». Vous aurez donc la possibilité de céder à titre onéreux, transmettre à titre gratuit entre vifs ou apporter en société l'intégralité de votre patrimoine professionnel, sans avoir à procéder à la liquidation de celui-ci.

Le transfert universel devra porter sur l’intégralité de votre patrimoine professionnel, qui ne pourra pas être scindé. La loi précise en effet que le transfert non-intégral d'éléments de ce patrimoine demeure soumis aux conditions légales applicables à la nature dudit transfert et le cas échéant, à celle du ou des éléments transférés.

Le transfert porte sur la cession des droits, biens, obligations et sûretés du patrimoine professionnel. Lorsque le bénéficiaire est une société, le transfert des droits, biens et obligations peut revêtir la forme d'un apport.

Philippe Tisserand
One Another Consulting