Les organisations infirmières ANPDE, CEEPAME, CEFIEC, Convergence Infirmière, FNESI et SNPI viennent de déposer un recours devant le Conseil d’Etat contre l’arrêté publié le 3 juillet visant à dispenser de la première année de formation conduisant au DE d’infirmier les aides-soignants ayant de l’expérience professionnelle.
Au cours d’une conférence de presse ce Lundi 18 septembre 2023 les six organisations professionnelles co-dépositaires ont exposé les motifs du recours qu’elles ont déposé le 03 septembre devant l’autorité juridique suprême.
Elles reprochent notamment au ministère de vouloir faire économiser aux employeurs une année de formation professionnelle, alors que le référentiel d’activité aide-soignant n’est en rien comparable avec le référentiel de formation de la première année de licence infirmière en IFSI. Ces personnes n’auront pas l’enseignement des fondamentaux (pharmacologie, biologie fondamentale…), et risquent d’avoir un déficit de compétences, qui va nuire à la prise en charge des personnes soignées.
Depuis 2009, la formation infirmière débouche sur un grade de Licence. Former des personnes en deux ans, sans être forcément titulaire du bac, est également à rebours du processus d’universitarisation (Licence du métier socle, Master pour les infirmières spécialisées IADE, IBODE, IPDE et IPA).
Rappelons qu’avant l'arrêté du 3 juillet 2023, il fallait aux aides-soignants qui souhaitaient devenir infirmiers, avoir un minimum de trois ans d'expériences pour pouvoir se présenter à un examen d'admission basé sur la validation des acquis. En cas de réussite à cet examen, les aides-soignants admis intégraient l'IFSI à la rentrée suivante pour suivre le cursus de trois ans conduisant au DE d’infirmier.
Pour répondre à la pénurie d’infirmiers, avec l’arrêté du 03 juillet, le gouvernement français a mis en place une passerelle destinée aux aides-soignants qui souhaitent se reconvertir vers le métier d’infirmier. Dès l’année 2024, les aides-soignants pourront accéder à un parcours allégé et passer le DE d’infirmier en seulement deux ans. Les candidats volontaires suivront un parcours spécifique de trois mois. Cette formation accélérée de trois mois est censée remplacer la première année de formation d’infirmier, les autorités partant du principe que les connaissances et les compétences acquises par les aides-soignants expérimentés sont suffisantes et justifient cette décision.
Pour Maitre Boyer, conseil du collectif dépositaire du recours, c’est par la petite porte et en plein été que le gouvernement a publié ces instructions qui confèrent aux seuls employeurs la capacité de valider ce parcours spécifique et sans examen « le seul fait de faire les trois mois de formation prévus suffit à valider en catimini la dispense de la 1ère année d’IFSI », précise l’avocat du collectif, tout en alertant que par ce biais « l’Etat mette en place un dispositif inédit faisant peser un risque réel sur l’équivalence européenne du niveau de formation des infirmiers français ».
Plusieurs organisations dont l’ANPDE, le CEPAM ou encore les SNPI par la voix de Thierry Amouroux s’interrogent sur le fait que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche n’ait pas été associé à cet arrêté, situation risquant d’entraver le processus d’universitarisation engagé et d’être un frein à la constitution d’une discipline académique/universitaire permettant aux sciences infirmières d’affirmer leur contribution unique.
La FNESI est pour sa part toujours en attente de réponse de la DGOS et du ministère de l’enseignement quand aux critères de sélection à ce jour non définis pour les établissements qui vont recruter les aides-soignants pour ce parcours spécifique. Elle considère que le flou entretenu va en outre favoriser l’émergence d’offres de préparations privées, sources d’inégalité. Elle rappelle par ailleurs que « les moyens financiers et humains n’ont toujours pas été mis en place pour pallier au déficit criant d’encadrement des étudiants en sciences infirmières qui constitue la deuxième cause de renoncement en cours d’étude. Un contexte qui risque fort de mettre les aides-soignants admis directement en deuxième année en difficultés universitaires ».
Pour le CEFIEC « le contexte hypertendu des ressources humaines dans les établissements de santé ne justifie pas que nous formions à n’importe quel prix et quoi qu’il en coûte ».
Urgences, virage domiciliaire, psychiatrie, maternités, Ehpad : à l’heure où les besoins de santé sont criants, et qu’une augmentation des compétences légales des professionnels infirmiers devient indispensable pour pallier au déficit de ressources médicales, cette mesure va à contresens des travaux engagés pour réformer de la profession infirmière (décret d’exercice, référentiel de compétences). En réponse aux voix qui s’élèvent pour dénoncer le corporatisme des organisations à l’origine de ce recours, la réponse est unanime : « Nous ne sommes pas opposés à l’accès des aides-soignants au DE d’infirmier, mais nous voulons que cela se fasse de façon qualitative ».
En marge de ce recours devant le Conseil d’Etat, Thierry Amouroux (SNPI) déclare entretenir l’espoir « que le nouveau ministre fasse preuve de plus d’intelligence sociale que son prédécesseur et revienne sur cette décision sans avoir à se déjuger ».
Article rédigé par Philippe Tisserand
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